En septembre, l'atelier de N et I Ni et Cie ne reprendra pas ses activités.
Je reprendrai donc un emploi à plein temps à l'éducation nationale avec 11 élèves d'une unité d'enseignement spécialisé.
Pourquoi arrête t'on un métier comme celui-là ? Qui est plus qu'un métier mais un véritable projet de vie demandant chaque jour passion, énergie et conviction.
Je souhaite partager cette explication pour rendre constructive ma réflexion, car je pense qu'elle peut être utile à d'autres, même si c'est un peu long...on ne quitte pas 19 années d'une telle aventure avec la longueur d'un simple tweet !
Je reprendrai donc un emploi à plein temps à l'éducation nationale avec 11 élèves d'une unité d'enseignement spécialisé.
Pourquoi arrête t'on un métier comme celui-là ? Qui est plus qu'un métier mais un véritable projet de vie demandant chaque jour passion, énergie et conviction.
Je souhaite partager cette explication pour rendre constructive ma réflexion, car je pense qu'elle peut être utile à d'autres, même si c'est un peu long...on ne quitte pas 19 années d'une telle aventure avec la longueur d'un simple tweet !
Au bout de 19 ans comme chaque année, j'ai fait 2 colonnes : la colonne de ce que demande le projet comme efforts, comme investissement, comme temps, comme énergie, comme enthousiasme. Et la colonne de ce qu'il offre en retour à tous ces participants, aux spectateurs, à ceux qui le soutiennent, et à moi.
Cette année a confirmé ce que j'observais depuis quelques temps déjà : la longueur des deux colonnes s'est inversée.
Il y a toujours énormément de positif : au niveau personnel, ce métier est passionnant. Il m'a permis de me forger des années de joyeux souvenirs, de réaliser des spectacles que j'ai eu beaucoup de bonheur de partager, d'éveiller et d'accompagner l'intérêt au spectacle vivant pour des dizaines d'enfants et d'adolescents, de faire travailler ensemble des jeunes gens que rien ne prédestinait à se rencontrer, d'éveiller le goût pour des auteurs d'adolescents qui n'avaient auparavant jamais mis les pieds dans un théâtre, de partager des moments avec des équipes et des artistes formidables, et aussi , et aussi , et aussi...
Les causes principales
Côté jardin -2008 |
Un projet comme French Remix coûte cher. En énergie. En vie personnelle.
En financement aussi.
Rien de tout cela ne m'a paru injustifié pendant 20 ans. Je n'ai jamais pensé que parce qu'il s'agissait d'enfants, on devait limiter la qualité et le coût de chaque petite partie qui serait proposée ou présentée.
Au contraire. J'ai toujours et de plus en plus défendu le fait qu'il faut développer chez chaque enfant le goût du spectacle vivant, son envie de défendre plus tard la culture, et dans ce but il est indispensable d'offrir à chacun dès son plus jeune âge la possibilité de travailler et d'interpréter des créations exigeantes et dans les meilleures conditions.
Il y va du coût ou de la qualité du travail comme des efforts et de l'énergie à déployer.
Non seulement pour la réalisation des spectacles, mais aussi pour les objectifs qui se sont peu à peu ajoutés à la pratique artistique tels ceux des activités du jeune spectateur: découvrir ensemble des spectacles, rencontrer des artistes, voir des artistes travailler...tous aspects qu'il me semble maintenant essentiel de défendre, de faire connaître et de développer partout, tant les résultats sont probants et les bénéfices évidents.
Pataquès - 2016 |
De même pour les objectifs de mixité qui se sont ajoutés au projet depuis cinq ans. Au début, les groupes différents s'assoient chacun à un bout de la salle qu'on pourrait séparer en quartiers : centre-ville, quartier prioritaire, jeunes en situation de handicap...au bout de cinq ans on ne fait même plus attention aux catégories tant les liens entre les uns et les autres sont devenus spontanés.
Il a fallu quelquefois forcer discrètement la rencontre, être attentif, expliquer les différences, mais le résultat est réel.
Pour tout cela, création, activités du jeune spectateur, défense de la mixité, si le spectacle est riche, si chacun met le meilleur de soi pour le réussir, si les enfants au long de ces mois semblent s'ouvrir, s'éveiller, si les familles qui découvrent le projet, comprennent aussi son intérêt pour leur enfant et apportent leur soutien, rien n'est trop cher, trop fatigant, trop prenant.
Mais cela est de moins en moins vrai. Et alors on ressent une impression de gaspillage et de gâchis :
D'abord parce que de l'argent public est demandé chaque année. Région, département, commune, mais aussi des fondations prestigieuses comme la Fondation de France, InPact, ou la Fondation Carasso, tous ont été convaincus de la valeur de ce projet et l'ont encouragé.
Or ces institutions et ces fondations utilisent ces aides pour financer des causes qui leur paraissent prioritaires : l'illettrisme, la détresse sous toutes ses formes. Il n'est donc pas moral de recourir à ces fonds si tous les participants n'ont pas conscience du privilège qui leur est accordé.
Et c'est ce que je constate au travers de la baisse de la motivation et de l'engagement.
Cette année, plusieurs enfants ne participeront pas à toutes les représentations. Ce qui était vrai déjà pour des répétitions importantes ( et continue de s'aggraver), le devient maintenant pour les spectacles : à chaque représentation il manquera quelques participants.
Cela me paraissait inenvisageable il y a quelques années.
En s'inscrivant à cet atelier, on contribue à engager toute une équipe pour un travail gigantesque mais on abandonne tout le monde au moment de l'aboutissement, au moment qui permettra à chacun de recueillir le fruit de ses efforts...
Un autre Noël en été - 2006 |
Pire, d'une part cette absence va diminuer la qualité du spectacle, des effets de groupe se trouvant déséquilibrés, mais d'autre part on demande aux intervenants de fournir un travail supplémentaire puisqu'il faudra adapter des scènes lors de chaque représentation. Au lieu de consacrer les répétitions à peaufiner ce qui existe, on est contraint de remonter des scènes différemment.
On démarre maintenant la période des représentations en sachant que le spectacle ne sera pas à la hauteu de ce qu'il pourrait être.
Je ne veux pas accepter cela. Je pourrais m'y contraindre en me disant que l'époque évolue, que l'engagement n'est plus le même.
Mais je ne veux pas l'accepter.
Non pas parce que personnellement rien ne m'a jamais arrêtée d'aller jusqu'au bout d'un engagement : même en cas de maladie, de deuil, de fête familiale, j'ai toujours considéré que rien ne justifiait l'abandon d'une représentation, mais on pourra me répondre que cette façon de considérer les choses n'engage que moi. Ce qui est vrai.
Plutôt, je ne trouve pas moral d'accepter ce déséquilibre entre la valeur de ce qui est offert à chaque enfant, et le fait que l'activité puisse être considérée comme un simple produit qu'on prend et qu'on jette si on a mieux à faire. Ce n'est pas une réponse adaptée.
Ce n'est pas juste ni équilibré vis-à-vis des efforts que fournissent tous les membres de l'équipe et pas seulement des miens: ceux des professionnels, des bénévoles, des parents et des autres enfants qui s'impliquent, et aussi de l'argent public ou privé qui est dépensé chaque année.
L'accès à la culture, la mixité sont pour moi à l'heure actuelle des causes prioritaires, pas un simple loisir.
J'ai donc choisi de continuer de défendre ces objectifs autrement : l'an prochain je reprendrai ma seconde activité d'enseignante spécialisée à plein temps.
Arrêter un projet, ce n'est pas forcément baisser les bras et se dire qu'on ne peut rien faire.
Au contraire. C'est arrêter une voie dont on pense qu'elle n'est plus la meilleure, pour chercher comment poursuivre ses objectifs autrement.
Et rendre cet arrêt constructif. Utile.
Autour des causes secondaires : poursuivre la réflexion...
Le fait d'arrêter ne m'empêche pas de réfléchir aux problèmes qui se posent actuellement notamment aux animateurs de pratique artistique et à tous ceux qui encadrent, financent, accompagnent. Réfléchir ensemble sera de plus en plus nécessaire et utile tant certains aspects sont de plus en plus criants.
Les questions à se poser concernant les financements...
Dans les causes de ma reconversion, il y a aussi la fatigue engendrée par un nombre trop grand de tâches, dont certaines pourraient être évitées. Et parmi les principales toutes les difficultés qui ont trait à la recherche de financement.
Cette année j'ai dû attendre janvier (soit 5 mois après la rentrée) et une subvention inattendue, pour être sûre que mon salaire serait payé jusqu'à la fin de la saison.
Je suis fatiguée, au bout de vingt ans à un rythme de "coureur de sprint", alors que nombreuses fois le sérieux de mon travail a été reconnu et salué, de devoir chaque saison retrouver cette inquiétude, préparer des dossiers, justifier mes choix et attendre avec fébrilité les réponses, une à une, qui garantiront qu'on pourra financer mon salaire jusqu'en juin.
De Bulles et d'abîmes - Narbonne 2012 |
Il est bien sûr logique de devoir contrôler la pertinence de chaque projet et garantir l'intérêt de l'utilisation de l'argent public.
Mais ne pourrait-on pas plus régulièrement, comme la Fondation de France a pu le faire, lorsqu'un dossier a été instruit qui semble sérieux, innovateur, solide, lui faire confiance non pas une année, mais au moins deux ou trois de façon à alléger la charge de travail et permettre qu'une grande partie de ces heures consacrées à la rédaction de bilans ou de budgets prévisionnels, le soit à l'animation et à la création qui devraient être le centre de l'action.
Autre aspect : chaque dossier déposé est contraint à la nouveauté. On ne peut déposer la plupart du temps un dossier qui a le même nom ou les mêmes objectifs. Or si un projet a été salué justement pour sa justesse, et montre des résultats probants, pourquoi être tenu chaque année à une reformulation complète des axes de travail et à l'ajout de nouvelles contraintes plutôt que de permettre à l'équipe de consacrer son énergie à développer les aspects les plus positifs.
Cela alourdit chaque année un peu plus ce qui l'est déjà trop.
Prenons l'exemple des partenariats. Lorsqu'ils répondent à des objectifs qui se croisent ( ici faire se rencontrer les enfants avec le milieu professionnel ou enrichir les séances par l'intervention d'artistes de cirque, ) chaque partenaire améliore incontestablement sa réussite et son efficacité, même si cela demande un investissement plus grand et ajoute de nouvelles tâches.
En revanche, si on en arrive à développer des partenariats simplement parce qu'ils sont la condition pour pouvoir financer une nouvelle saison, on arrive à devoir subir des conditions si difficiles qu'elles finissent par faire oublier ce pourquoi on est là, empêchent de travailler sereinement et nuisent à la qualité de la création.
... et la gestion de la fatigue
Il faut garder en tête que nombreux projets et associations qui permettent de soulever des montagnes, ne sont pas menés par des équipes de quinze personnes dans lesquelles les tâches sont réparties, mais reposent souvent sur une ou deux personnes qui se battent entre toutes les fonctions et avec leur emploi du temps.
Croche la lune - 2014 |
C'est le cas pour N et I Ni et Cie. Même si j'ai eu la chance de pouvoir bénéficier de l'aide d'une équipe de bénévoles fidèles et efficaces au moment des spectacles, il n'empêche que tout au long de la saison, je dois effectuer seule la plupart des tâches de la direction artistique, l'animation, l'organisation, l'administration, la création des visuels, de la scénographie et des prototypes des costumes, la gestion des sites internet... ces deux dernières années, dans le cadre d'une évaluation du projet, j'ai compté chaque heure effectuée pour évaluer la part de chaque fonction dans mon emploi du temps :
il est apparu que bien sûr la création, l'organisation y prennent beaucoup de place, mais il y a aussi toutes ces petites choses quotidiennes que l'on ne mesure pas : les SMS qu'il faut envoyer pour informer de chaque répétition ou changement ceux qui n'ont pas d'ordinateur, les solutions qu'il faut trouver pour ceux qui n'ont pas de véhicule pour un déplacement, les costumes et accessoires en plus qu'il faut prévoir pour ceux qui auront perdu le leur, la date limite d'un dossier à rendre qui tombe une semaine d'avant une création, c'est tout un ensemble de petites choses variées qu'il faut garder à tout moment dans chaque coin de sa tête tout en restant calme et disponible pour répondre à chaque question...
Les questions à se poser concernant les enfants
Le manque d'engagement
Concernant le désengagement des enfants et des familles : la question qui peut se poser est pourquoi préfèrent-ils choisir d'être ailleurs plutôt que de vivre ce moment ? C'est donc que ce moment n'est plus suffisamment motivant pour passer devant toute autre chose.
Jouer dans une salle prestigieuse, avec des moyens techniques professionnels, des costumes soignés, sur une musique composée spécialement, avec toute une équipe avec qui on a passé la saison à construire quelque chose, découvrir des artistes au plus près de leur travail, tout cela n'est plus suffisamment attirant.
Festival de Trégueux (22) - 2007 |
S'ils sont de plus en plus nombreux à se désintéresser, il faut en analyser les raisons, car elles sont aussi peut-être le signe que le projet n'est plus adapté à ceux à qui il s'adresse.
En ce qui concerne French remix, la proposition qui est faite chaque année, autour d'une technique nouvelle ou d'une découverte différente ne convient peut-être plus à la majorité.
Les familles et les enfants qui s'inscrivent ont peut-être besoin de mieux identifier l'activité que l'enfant pratiquera. C'est une hypothèse...
La baisse de l'imaginaire et de la capacité d'attention
Pour le meilleur et pour le pire 2007 |
Il apparaît également que ces dernières années, la manière qu'ont les enfants de s'impliquer dans les activités a changé. La capacité de recours à l'imaginaire surtout semble diminuer. Je le constate avec parfois de l'effarement
Dans l'écriture du spectacle, je m'appuie sur les propositions faites par les participants des ateliers.
Chaque début d'année, depuis vingt ans était une période foisonnante où l'on jouait, où on délirait, où chacun pouvait librement créer, inventer, s'amuser. A partir d'une simple consigne, d'un objet ou d'un morceau de musique, chacun pouvait laisser libre cours à son imagination et sa capacité d'inventer. Les enfants ou les adolescents ne se privaient pas de le faire, puisqu'à aucun moment il n'y avait de jugement de valeur sur les saynètes présentées: étant entendu que chaque proposition pouvait avoir un intérêt dans cette recherche vers l'écriture future.
Non seulement ces moments ont donné lieu à la création de scènes très diverses, mais de plus ils ont été à l'origine de nombreux fous rire et d'instants magiques !
Je ne connais presque plus cela. Ou alors ces moments n'apparaissent plus que de façon très minoritaire. Tout en luttant contre l'impression du "c'était mieux avant ", force est de constater que je lutte contre un esprit "Smartphone" et que le combat est déséquilibré.
Côté jardin -2008 |
Même les plus jeunes attendent que l'intérêt vienne de l'extérieur, ne s'impliquent plus physiquement. L'intervenant doit apporter la consigne, montrer l'exemple alors que l'intérêt justement est de laisser chacun proposer, d'éviter la modélisation pour encourager la variété des propositions, inviter l'imaginaire. Il faut maintenant que l'animateur sache éveiller l'intérêt en dix secondes sinon l'attention est déjà partie ailleurs... L'atelier de pratique artistique est vécu comme une émission de télé, on va s'y abreuver, consommer, et si l'image ne nous retient pas, on zappe...
Les propositions faites dans les exercices d'improvisation ou de création sont elles aussi d'une pauvreté alarmante. Parce qu'au lieu de lâcher prise et de se livrer sans calcul, chacun se met en scène. Ne veut surtout pas se ridiculiser. A l'ère du selfie, on ne recherche plus l'effet qu'une scène va produire sur le spectateur, mais surtout si l'on sera vu à son avantage.
Je me suis toujours battue pour l'idée contraire. A plusieurs reprises j'ai tenté de démontrer à des parents qui reprochaient que leur enfant n'était pas suffisamment visible dans un spectacle, que mon travail était d'amener à ce que chaque enfant considère aussi valorisant d'avoir été choisi comme le responsable d'une ombre chinoise complexe à manipuler, que d'être vu sur le plateau.
4 saisons - 2004 |
L'important pour nous était de construire une œuvre collective à laquelle chacun apporte sa pierre. Que les spectateurs viennent découvrir, rire, s'émouvoir d'un spectacle et non pas seulement applaudir untel ou untel sur scène.
Un spectacle est une école de l'humilité où il faut beaucoup d'efforts pour fabriquer un éphémère que la plupart des spectateurs auront oublié quelques jours plus tard.
C'est donc bien le contraire que de vouloir passer à la postérité pour une simple photo sur Instagram en compagnie d'un chat...
J'ai pu évoquer ce problème avec des professionnels de différents secteurs : professeurs d'arts plastiques, artistes de cirque, enseignants...Tous font le même constat et sont pour l'instant impuissants face à ce phénomène.
L'aspect récent de l'arrivée des nouvelles technologies dans la vie des enfants doit nous rendre raisonnablement optimistes, mais nous forcer à trouver des moyens rapidement pour aider les enfants à développer autrement les compétences si essentielles et qui semblent actuellement s'endormir.
Conclusion plus personnelle...
Et donc depuis toutes ces années,
je travaille les samedi, dimanche et profite des vacances pour travailler encore plus...
L'être généreux qui m'accompagne se charge du ménage, des courses, et de la cuisine que je n'ai jamais le temps de faire.
Je n'ai que rarement de temps à consacrer à ma famille, à mes amis. Je refuse presque toujours les quelques invitations que ceux qui ne sont pas lassés tentent encore de lancer.
Par faute de temps je n'ai pas joué un spectacle depuis 15 ans alors que j'ai choisi ce métier au départ pour aussi être sur scène...
Je ne l'ai jamais regretté cet investissement même si j'ai "tiqué" parfois de n'avoir pu partager des évènements familiaux ou personnels pour cause de travail à finir.
Mais cette année, j'ai senti que la liste de ma deuxième colonne en s'allongeant risquait de me faire passer la frontière de l'année de trop.
D'ailleurs dans les faits, N et I Ni et Cie s'efface déjà de plus en plus :
sur la scène en juin, il n'y a presque plus d'espace pour que les enfants puissent jouer : les comédiens se sont donc repliés sur un écran et dans le hall. Sur l'affiche, le logo de N et I Ni et Cie, noyé au milieu des autres logos de partenaires s'apprête à sortir dans le bas à droite, discrètement.
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