Ouf il fait beau . Frais mais beau: il est là . Le vendeur à la camionnette blanche du marché du jeudi.
Mon sauveur.
L’an dernier à cause du mauvais temps, il ne vendait pas son tissu mais seulement des boutons, parce que le tissu il faut du beau temps pour le déballer. Alors que les boutons, il peut pleuvoir, ils s’en fichent.
Cela dit les boutons, ce n’est pas suffisant pour faire 65 costumes, alors s’il pleut sur les marchés d’avril, on est contraint de monter à la capitale, parce que oui , voyez-vous , à l’époque de la mondialisation, il n’y a pas plus près maintenant pour avoir du tissu , mais c’est un autre problème.
« Et voyez c’est du lin, ça madame, du premier choix »
Ce qu’il ne sait pas, le vendeur sauveur, c’est que des troisièmes galeries du théâtre, que ce soit du lin ou du coton, il s’en moque le spectateur. Il ne voit pas la différence. Par contre à 1€ le mètre, lin ou coton, je prends ce qu’il y a , du moment que la couleur y est…
Va pour le lin .
« Combien je vous en mets ? »
« Ben…mettez-moi la roule ? »
Il se frotte les mains le vendeur sauveur.
« Oh madame, il m’en faut juste deux mètres, s’il vous plaît, ne prenez pas tout , il m’en faut juste deux petits mètres. »
Alors ça c’est terrible. Comment lui résister à la petite dame qui vient d’arriver. Qu’est-ce qu’elle fait là d’ailleurs la dame…Elle ne devrait pas être chez elle par un matin si froid ?
Me voilà dans la situation de la mauvaise qui va embarquer tout le rayon, laissant sur le parvis une pauvre grand-mère qui voulait juste deux modestes mètres pour se faire un non moins modeste pantalon. On dirait la petite dame de la chanson « la salle des ventes » de Barbara. Le genre qui vous arrache les larmes rien que d’y penser.
Je m’imagine déjà me réveillant en hurlant la nuit : « Nooon , je vous en prie, ce n’est pas moi qui ai pris votre tissu ! »
Ce qu’elle ne sait pas la dame, c’est que si je lui laisse les deux mètres, je prends le risque que sur le groupe de jardiniers, il y en ait un qui n’ait pas de tablier bleu au troisième acte . Pire même, on devra peut-être lui en faire un en coton et là , là …à côté du lin…qu’est-ce que je disais plus haut ?
Ah oui des troisièmes galeries, le spectateur, le coton, le lin, etc, etc…
« Bon d’accord madame, prenez vos deux mètres… »
Et là, là…à ce moment précis, dans les yeux d’une vieille dame, je suis devenue l’héroïne du marché du jeudi. Pour 2€ de lin. Comme quoi…